Lecture : 1 Chroniques 15: 25-29 ; Psaume 98
« Bien chanter, c’est prier deux fois ». On attribue cette réflexion à Saint Augustin, mais c’est Martin Luther qui a donné à cet adage un nouveau souffle, d’où l’importance du chant dans la tradition protestante. A la Réforme, la versification et la mise en musique des psaumes pour l’assemblée ont joué un très grand rôle dans l’imprégnation de la culture biblique.
La prière et le chant peuvent donc s’influencer mutuellement. Il arrive que des personnes ne sachent pas comment prier ou soient mal à l’aise avec la prière. Le chant peut alors se révéler un excellent moyen d’expression, car la charge spirituelle y est portée à la fois par les mots et la musique. Quelquefois, chanter c’est prier sans en avoir l’air, cela peut satisfaire notre pudeur. Le chant peut alors devenir une école de prière.
Dans une chorale d’église, nous chantons ensemble des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés. Nous avons entendu comment David dansait devant l’arche de l’Alliance, au son des tambours et des cymbales, et comment sa femme conçut de la haine pour lui. Elle pensait qu’un roi ne devait pas se donner ainsi en spectacle1. Mais elle oubliait que David glorifiait Dieu, le seul vrai Roi de l’univers auquel tous les rois doivent allégeance.
David est l’auteur légendaire des psaumes. Or, bien qu’ils fassent partie de toutes les bibles chrétiennes et qu’ils soient abondamment utilisés dans la liturgie, un bon nombre de croyants avouent ne pas aimer les psaumes ou ne pas les comprendre. C’est un fait et on ne peut pas forcer quelqu’un à aimer ce qu’il ne veut pas aimer.
D’un autre côté, comment peut-on ne pas aimer quelque chose que l’on ne connaît pas ? Certes, comme il y a cent cinquante psaumes, on peut comprendre que tous ne soient pas appréciés de la même manière par tout le monde. Mais de là à les écarter d’un bloc et à se priver de ce qu’ils peuvent contenir de richesses, voilà une attitude qui ne saurait nous aider dans le développement de notre vie spirituelle. En tant que chrétiens, nous acceptons l’autorité de toute la Bible, et pas seulement des quelques passages qui nous font plaisir. Or comment peut-on comprendre la Bible sans s’investir soi-même et sans chercher quelque explication au sujet de cet immense corpus qu’est le Psautier ?
Plusieurs arguments sont donnés par les chrétiens qui disent ne pas aimer les psaumes.
Premier argument : les psaumes sont dépassés.
Les psaumes sont des prières anciennes. Leur composition date de plus de deux mille ans et pourraient même remonter à près de trois mille ans ! La distance temporelle est énorme, et la distance culturelle tout autant, sinon plus. Les psaumes sont issus, en effet, d’un monde proche-oriental ancien, très différent du nôtre. Mais les psaumes sont-ils pour autant dépassés, voire désuets ? Si les psaumes sont manifestement des prières juives anciennes, nombreux sont les commentateurs chrétiens qui, à travers les âges, ont reconnu dans ces prières une remarquable expression de l’âme humaine, dans tout ce qu’elle peut avoir de sentiments nobles, troubles ou ambigus. En fait, les psaumes ont été priés en tout temps et sous toutes les latitudes, d’est en ouest et du nord au sud, et dans les circonstances les plus extrême : par les protestants lors des guerres de religion en France, par des esclaves africains sur les plantations de coton en Amérique, par de pauvres juifs dans les camps de la mort, dans les goulags du camarade Staline, par des soldats en pleine guerre, lors de catastrophes naturelles, etc.
Deuxième argument : les psaumes contiennent trop de violence !
Parfois des psaumes presque entiers sont placés à l’enseigne de la violence, notamment sous forme d’appels à la vengeance2. Mais le plus étonnant est de voir apparaître soudainement, au détour d’un psaume par ailleurs magnifique, des images d’une rare violence. C’est ainsi que le psaume 137, chant d’un exilé qui redit son attachement à Jérusalem, se conclut par ces mots barbares : « Ô Babylone misérable… heureux celui qui saisira tes enfants pour leur fracasser le crâne contre le roc ! » (v. 8-9).
Il n’est pas question de défendre l’indéfendable. Et il faut déplorer avec raison qu’on ne trouve nulle part dans les psaumes une invocation comme celle du Notre Père : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » et encore moins une prière qui prônerait, comme Jésus, « l’amour des ennemis ». Cela dit, on conviendra que le pardon des offenses et l’amour des ennemis sont loin d’être des acquis, même pour nous qui récitons quasi quotidiennement la prière du Notre Père. Donc, il ne faut pas jouer au Pharisien et il vaudrait mieux reconnaître que notre prière n’est pas à l’abri de certaines tentations ou velléités de violence.
Troisième argument : le Dieu des psaumes n’est pas notre Dieu.
Certains chrétiens continuent à opposer le Dieu de l’Ancien Testament, qui serait un Dieu de colère, sévère et vengeur, au Dieu qui a été révélé par Jésus-Christ dans le Nouveau Testament, et qui est un Dieu d’amour, de tendresse et de miséricorde. C’est oublier qu’il n’y a qu’un Dieu unique dans les deux Testaments. Par ailleurs, les psaumes regorgent de passages qui décrivent Dieu dans sa grande miséricorde. « Rendez grâce au Seigneur car il est bon et éternel est son amour » (Ps 136, 1) ; « Comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint ! » (Ps 102, 13) ; « Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d’amour pour ceux qui t’appellent… » (Ps 85, 5). N’oublions pas non plus que les psaumes ne tarissent pas d’éloges sur un Dieu qui fait merveille, sauve, guérit et protège, qui entend le cri des opprimés et relève les humbles.
Dans le psaume 98, il est d’ailleurs question d’un Dieu qui consent à être abaissé, qui consent à ce que les autres dieux puissent paraître triompher et que les nations puissent le dédaigner. C’est dans l’histoire que Dieu s’abaisse, parce qu’il est lié, par une alliance irréversible, à un peuple. Mais Dieu renouvelle la délivrance primitive de son peuple et le fait retourner en Palestine. Il fait également apparaître sa puissance aux autres nations, car Il a préparé le salut définitif de l’univers en son entier.
A bien des égards, on pourrait facilement appliquer ce psaume au Christ. C’est vraiment un cantique de Pâques, où après sa kénose et son obéissance jusqu’à la mort sur la croix, le Christ reçoit le nom qui est au-dessus de tout nom, celui du Seigneur.
Jésus avait un attachement particulier pour les psaumes puisque, sur les soixante-quinze citations de l’Ancien Testament que les évangélistes lui attribuent, vingt et une proviennent du livre des Psaumes, ce qui en fait le livre de l’Ancien Testament le plus cité par Jésus. On notera surtout que ces citations sont en rapport avec la Passion. « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Ps 22, 1) ; « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Ps 32, 6), ou encore « j’ai soif » (allusion au Ps 22, 16).
Les psaumes sont prières, chants et musiques.
Et, en tant que tels, ils forment la matière de toute chorale d’église. La tradition chrétienne s’est constamment nourrie des psaumes. Nous connaissons les chants grégoriens dans la tradition catholique du Moyen Âge. Mais, au moment de la Réforme, Martin Luther a lui aussi accordé beaucoup d’importance à la musique, et il composa plusieurs chants d’inspiration psalmique, dont certains furent repris par nul autre que Jean-Sébastien Bach.
Le chant choral est une source d’épanouissement, car il met à contribution chaque partie de l’être : le corps, l’esprit, la sensibilité et l’âme. Il se distingue du chant solo par le fait qu’il s’agit d’un groupe, d’un corps total avec lequel chaque membre communie. Et il y a de ces moments magiques et précieux où le chanteur se détache de sa partition musicale, devient lui-même musique et vit une expérience spirituelle intense.
Les nombreux bienfaits du chant ont été souligné par les spécialistes de la santé : amélioration du souffle et de la fonction respiratoire ; amélioration de la fonction cérébrale chez les aînés ; gain d’énergie ; bienfaits émotionnels, sentiment de joie et de détente. En résumé, chanter en groupe allège la dépression et contribue au bien-être émotionnel et physique.
Mais il y a plus que le seul bien-être. En fait, les chants sacrés forment un langage symbolique que l’on constate dans toutes les civilisations. Les chants sacrés des divers peuples d’Asie font l’harmonie entre le Ciel et la terre, entre le Ying et le Yang. Dans les monastères bouddhistes, les moines chantent dans un calme absolu du corps et de la pensée, et un contrôle de la respiration et du souffle. Et les cloches, gongs, les cymbales et les trompettes s’allient aux chants. Dans l’hindouisme, le chant om, premier mantra, le plus sacré de tous les sons, est la syllabe-racine dont la vibration est à l’origine de l’Univers et de toute chose en ce monde. Son énoncé devient une charge énergétique puissante. On a rapproché du OM hindou le mot hébraïque AMEN, adopté par la liturgie chrétienne et ponctuant les prières. Cette affirmation et cette confirmation contiennent le Seigneur lui-même en tant qu’énergie créatrice.
Les chants africains, sous des formules sacrées, sont présents dans tous les actes religieux. On bénit, maudit, remercie, insulte, salue, en chantant. On chante pour la mort d’un roi, pour conjurer la sécheresse ou une épidémie. Les chants d’offrande sont destinés aux ancêtres et les chants de sacrifice aux puissances surnaturelles pour obtenir la fertilité des femmes ou de la terre ou la guérison d’un malade. En Amérique du Nord, le Gospel et le Negro Spiritual sont nés à la même époque que le blues3. Les esclaves se retrouvaient entre eux le dimanche pour prier. C’était le seul moment où ils pouvaient échanger leurs sentiments. Les Spirituals sont issus des traditions de l’Ancien Testament et représentent un moment de recueillement et de foi en un monde meilleur, sans esclavage. Les Gospels4 sont plus modernes, souvent plus rythmés, mais c’est toujours la Parole de Dieu qui y est exprimée5.
A la manière du Gospel, le psaume 98 commémore les deux événements majeurs du peuple d’Israël, à savoir la sortie d’Egypte et le retour de Babylone6. Dieu s’est souvenu de son peuple à Babylone, comme Il s’en est souvenu quand il était en Egypte. Dans le retour d’Israël, Dieu a révélé à toutes les nations son plan salutaire et sa justice. Dieu est resté fidèle à sa promesse et Il l’a même étendue à toute la terre. Avec le salut d’Israël, ce sont toutes les nations qui ont été sauvées. La voix humaine et le son des instruments s’associent dès lors pour louer le Seigneur. Et, comme presqu’à chaque fois qu’il est question d’instruments de musique, la création est évoquée. La mer, l’univers, les fleuves, les montagnes chantent la gloire divine. Les instruments dans le Temple expriment la voix de la création.
Le dernier verset fait allusion au moment où Dieu « entre » dans son Temple, lors d’une procession solennelle. Cette intronisation de Dieu dans le temple de notre cœur est un moment magique qui se passe à chaque fois que nous évoquons son saint Nom. Nous parlons de l’Esprit. Oui, chers frères, chères sœurs, l’Esprit de Dieu est sur nous et en nous quand nous chantons avec joie, avec enthousiasme, avec liesse et allégresse.
Que le nom de l’Eternel soit glorifié et sanctifié. Dans ce monde qu’il a créé par sa volonté, que son règne vienne bientôt, que le salut universel germe, que le retour du Christ arrive de notre vivant. Béni, loué, célébré, exalté, adoré, vénéré, glorifié soit le Nom de Celui qui est au-dessus de toute bénédiction, de tout cantique, de toute louange qui peuvent être exprimés en ce monde, et dites Amen.
Pasteur Jean-Christophe PERRIN
1 De nos jours, il y a toujours au sein de notre Eglise, des bourgeois français bien-pensants qui jugent qu’il est indécent de chanter avec joie et de danser au son de la musique lors d’un culte.
2 Voir les Psaumes 34 et 108.
3 Le blues (avoir les « bleus ») naît dans les champs des fermiers américains où travaillent les esclaves. Ils vont chanter pour se donner du courage et exprimer leurs difficultés.
4 Littéralement god spells, « la parole de Dieu, l’Evangile ».
5 Son origine sacrée est indéniable, même si le Gospel est devenu par la suite un genre musical, s’associant parfois avec le R&B.
6 Ces deux événements que sont l’Exode et l’Exil racontent le va-et-vient du Peuple hors de la terre promise.