Lecture : Jean 12, 23-25 ; 1 Jean 1, 1-10
Si nous observons une fleur avec attention, nous remarquons les éléments qui la composent – la tige, la corolle, les pétales, le pistil – et nous déduisons que d’autres éléments sont aussi responsables de sa croissance, comme les rayons de soleil, la pluie, le sol, l’air, le temps. Un examen plus attentif nous apprend également que la fleur est amenée à se décomposer. Dans la nature, la fleur se transforme en compost et le compost se transforme en fleurs. Un bon jardiner apprécie le compost car il sait comment le transformer en belles roses.
De la même façon, quand nous regardons en nous, nous pouvons voir aussi des fleurs et des détritus. Les détritus, nous en avons tous. Ce sont la colère, la haine, le découragement, les préjugés raciaux ou sociaux, etc. Qu’il y ait de mauvaises choses en nous ne devrait pourtant pas nous effrayer. Car, de même qu’un jardinier sait transformer le compost en fleurs, nous pouvons aussi apprendre à transformer la colère, la tristesse, le découragement, les préjugés, en amour et en compréhension. C’est notamment le travail de la prière et de la méditation.
Le cerveau est un champ dans lequel on peut planter toutes sortes de graines : des graines de souffrance, des graines de bonheur, ou de joie, de tristesse, de peur, de colère, d’espoir… Ces graines, profondément enfouies dans le terreau fertile de notre inconscient, peuvent germer à n’importe quel moment et nous importuner. Les psychiatres disent que le cerveau se rappelle plus aisément les événements douloureux du passé que les instances de bonheur. Cela pourrait expliquer pourquoi nous sommes si souvent insatisfaits. Nous avons comme pris l’habitude de manifester dans notre conscience immédiate des graines de colère, de tristesse, de peur, et de rarement laisser germer les graines de joie, de bonheur et de paix.
La pratique d’une vie spirituelle quotidienne est nécessaire pour changer cet état d’esprit, car elle implique que nous devenions conscients de nos schémas mentaux, au lieu d’y être soumis par une forme d’automatisme. Cette pratique nous permet de distinguer deux choses importantes. La première, c’est la capacité de reconnaître les graines mentales à mesure qu’elles surgissent des profondeurs de notre esprit. La seconde, c’est l’urgence d’arroser aussi souvent que possible les bonnes graines afin de les aider à pousser.
En premier lieu, nous devons accepter nos graines de colère, de tristesse, de haine, de peur, etc. – et les accueillir, au lieu de les éviter, de les dénigrer, car cela ne fait que les nourrir dans l’ombre, ceci à notre insu. À l’instar d’une mère qui serre dans ses bras son enfant qui pleure, lorsque nous entourons avec soin notre souffrance, celle-ci s’apaise. Quand nous mettons des mots sur nos maux, c’est-à-dire que nous reconnaissons pleinement leur existence, ceux-ci cessent d’exercer sur nous leur tyrannie souterraine. Quand nous éclairons notre souffrance de notre conscience, nous commençons à la transformer, à la manière des rayons de soleil qui pénètrent un bouton de fleurs et l’aident à éclore. Tout est une question de conscience. Quand la conscience touche la beauté, elle en révèle la splendeur. Quand elle touche la douleur, elle la transforme et la guérit. La graine meurt pour renaître fleur. Les mauvaises graines meurent quand elles sont reconnues pour ce qu’elles sont. L’idée est de cesser de les arroser – soit par le déni, soit par la rumination mentale –, pour les faire germer.
Pour être heureux, nous devons arroser les bonnes graines en pleine conscience. La pleine conscience, c’est la graine de l’attention, de la compassion, de la transformation. Nous devons apprendre à cultiver en nous la gratitude et la reconnaissance. Lorsque nous voyons des choses merveilleuse en nous et tout autour de nous, nous arrosons nos graines de paix, de joie et de bonheur, sans arroser en même temps nos graines nos malheurs. Chaque fois que nous sommes conscients de la paix et de la beauté d’un être ou d’une chose, nous arrosons nos graines de paix et de beauté, et de belles fleurs peuvent alors éclore en notre conscience. La force de nos graines dépend du temps que nous passons à les arroser.
Cette méditation préalable nous permet de comprendre la notion d’amour qui est énoncée dans le texte de Jean. L’amour est Dieu et Dieu est amour. Celui qui n’aime pas demeure dans l’illusion et la mort. Mais si nous marchons consciemment dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres. Il faut donc rechercher la lumière du logos et non se complaire dans les ténèbres de l’ignorance qui règne sur ce monde.
Lumière et amour sont un. Prétendre être dans la lumière, sans aimer, est mensonge. Prétendre aimer, sans se tenir dans la lumière, est illusion. La vérité, sans l’amour, c’est l’Inquisition et donc le crime au nom d’une prétendue Vérité. L’amour sans la vérité, c’est du fanatisme, ou au mieux du sentimentalisme, c’est la possessivité qui vient justifier le crime de passion : « Je l’aimais trop, je l’ai tuée ! » La flamme est lumière et chaleur. Du logos provient la lumière de l’esprit et la chaleur du cœur. Les deux sont liées.
Dans l’évangile de Jean, le logos n’est pas un mot philosophique complexe servant à désigner la Raison universelle chère aux Grecs, mais il renvoie à une personne. « Ce que nous avons entendu de nos oreilles, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé par l’esprit et que nos mains ont touché… nous vous l’annonçons, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous » (1 Jean 1, 1-3). Cette personne humaine a pour nom Jésus et le titre de Christ qui lui est associé n’est pas utilisé pour désigner le fondateur d’une religion, mais pour décrire le Corps de l’univers. La communion dont il est ici question concerne ainsi les traditions du monde les plus profanes, toutes les cultures (même les plus athées) et toutes les religions dans ce qu’elles ont d’inspiré de Dieu. Dans cet Être universel, il y a plusieurs membres et cependant un seul corps. L’œil ne peut donc pas dire à la main : « je n’ai pas besoin de toi », ni la tête à son tour dire aux pieds : « je n’ai pas besoin de vous ». Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l’honneur ? Tous les membres prennent part à sa joie. Ce Christ cosmique n’est accessible qu’à ceux qui ont éveillé leur conscience à la lumière et à l’amour, non à ceux et celles qui demeurent prisonniers de leurs illusions dans les ténèbres mensongères de ce monde.